L’humanité ferroviaire au cœur d’une rencontre qui m’a bouleversé sur les rails

Il y a des journées où mon boulot de contrôleur pourrait se résumer en trois gestes : vérifier, sourire, informer. Et puis il y a les autres. Celles où l’uniforme disparaît presque, où le badge ne sert plus à contrôler mais à rassurer, où les rails deviennent autre chose qu’un trajet. Ce jour-là, sur un TGV Paris–Lyon, j’ai redécouvert ce que j’appelle, presque sans m’en rendre compte, cette fameuse humanité ferroviaire qui me colle au cœur depuis des années.

Le train venait de partir, la routine habituelle : annonces, voyageurs qui cherchent leur place, valises qui bloquent le passage. Rien qui annonce que la suite va vous retourner de l’intérieur. Je commence ma ronde, comme toujours, et sur la plateforme de l’étage, je la vois. Une jeune femme, jambes ramenées contre elle, recroquevillée comme si le monde était trop grand, trop bruyant, trop lourd. Des larmes accrochées à ses cils, prêtes à tomber ou peut-être déjà tombées.

Je m’arrête. Pas comme un robot, pas comme un “agent SNCF” qu’on imagine parfois mécanique, mais juste comme quelqu’un qui voit quelqu’un. Je lui demande si ça va. Elle me dit oui, mais son regard dit tout l’inverse. Je lui dis que si elle a besoin de quoi que ce soit, je suis là. Pas “je suis là pour contrôler”, ni “je suis là pour vérifier les billets”. Juste “je suis là”. Et là, elle me sourit. Un tout petit sourire. Minuscule mais réel. Celui qui veut dire : “Merci d’avoir vu que je n’allais pas bien.”

Je continue ma ronde, parce que le train roule, parce qu’il faut avancer, parce que c’est aussi ça, notre métier. Mais au retour, je repasse devant elle. Et je sens, avant même qu’elle parle, que quelque chose a changé. Elle me regarde, hésite un peu, puis me dit : “Merci beaucoup.” Je lui demande “Merci de quoi ?” Et elle me répond : “Merci d’avoir eu cette intention.”

C’est fou comme une phrase peut vous secouer plus fort qu’un freinage d’urgence.

Et là, sans prévenir, elle se met à raconter son histoire. Une histoire lourde, compliquée, intime, qui n’appartient qu’à elle. Elle sortait tout juste de l’hôpital après une tentative de suicide. Elle avait pris ce TGV comme on prend une bouée, sans savoir si elle allait remonter ou couler. Et moi, j’étais juste tombé au mauvais moment… ou peut-être au bon.

Je ne peux évidemment pas partager ce qu’elle m’a confié. Secret professionnel, respect, dignité… et puis simplement bon sens. Mais ce que je peux dire, c’est que plus elle parlait, plus je sentais une boule dans ma gorge. Ça n’arrive pas souvent que les larmes montent pendant une ronde, mais là… impossible de rester hermétique. Je ne suis pas une machine. Aucun contrôleur ne l’est. Et cette humanité ferroviaire qui nous traverse tous, parfois elle éclate au grand jour, parfois elle nous rattrape quand on ne s’y attend pas.

On a discuté longtemps. Peut-être dix minutes. Peut-être trente. Dans un train, le temps se plie toujours un peu différemment. Les voyageurs passaient, certains nous regardaient, d’autres s’en fichaient. Mais dans cette bulle de couloir, il n’y avait plus de billet, plus de destination, plus de règlement intérieur. Il y avait une femme qui essayait de recoller les morceaux, et un contrôleur qui essayait juste d’être présent.

Petit à petit, son visage s’est transformé. Les larmes se sont calmées, les traits se sont détendus. Elle s’est même mise à sourire, pour de vrai cette fois. Le genre de sourire qu’on obtient quand on sent que quelqu’un vous a considéré comme une personne, pas comme un problème ou un numéro de siège.

Avant de repartir, je lui ai dit quelque chose que je ne dis pas souvent, mais qui m’est sorti naturellement : “Même quand la vie paraît insurmontable, elle mérite d’être vécue.” Elle m’a regardé comme si ces mots venaient de très loin, comme si elle n’avait pas entendu quelque chose de simple et sincère depuis un moment.

Quand je suis reparti continuer mon service, j’ai senti ce petit poids dans la poitrine. Le genre de poids qui ne vient pas de la fatigue mais de l’empathie. Et ça m’a rappelé pourquoi j’aime ce métier. Oui, je suis là pour informer, sécuriser, accompagner, contrôler… mais souvent, sans qu’on s’en rende compte, on fait bien plus que ça. On écoute des vies en morceaux, on capte des regards en souffrance, on rattrape des gens juste avec une question banale : “Ça va ?”

Et c’est ça, la humanité ferroviaire. Pas un concept marketing, pas une jolie phrase, mais ce fil invisible qui relie les voyageurs et ceux qui travaillent sur les rails. Un pont entre les histoires, un truc qui dépasse totalement le cadre pro. Une humanité mobile, instable, mais bien réelle, qui se faufile dans les couloirs, dans les rames, dans les gares, dans ces moments où on ne l’attend pas.

Ce jour-là, cette femme m’a rappelé que mon uniforme n’est pas une armure. C’est un symbole, oui, mais surtout un accès. Les gens viennent vers nous parce que nous sommes là, visibles, disponibles, identifiables. Et parfois, ils ont besoin de parler. De vider. De respirer. De savoir qu’ils existent pour quelqu’un. Et cette humanité, elle se manifeste souvent dans les petites choses : un sourire, un regard, une écoute, une phrase qui réchauffe quand tout semble glacé.

Ce que je retiens surtout, c’est que cette rencontre n’a pas sauvé une vie. Je n’ai pas cette prétention. Mais peut-être qu’elle a mis un peu de lumière dans un couloir qui était trop sombre. Et si c’est ça, alors c’est déjà énorme.

On dit souvent que les trains transportent des voyageurs. C’est vrai. Mais parfois, ils transportent aussi des vies cabossées, des secrets, des cicatrices, des secondes chances. Et quand on travaille dessus, on finit par comprendre que derrière chaque billet, il y a un monde entier. Et parfois, ce monde a juste besoin qu’on lui rappelle qu’il mérite d’être là.

C’est ça que j’avais envie de partager. Parce que cette scène, elle m’a marqué. Elle m’a rappelé ce que beaucoup oublient : derrière l’uniforme, il y a aussi un cœur. Un cœur qui voit, qui ressent, qui capte. Et un cœur qui, parfois, se prend une claque d’humanité au milieu d’un  TGV Paris–Lyon.

Et toi qui lis ces lignes, peut-être que tu n’emprunteras plus un train de la même façon. Peut-être que tu verras un contrôleur différemment. Ou peut-être que tu comprendras que cette humanité ferroviaire est partout, même sur les rails qui filent à toute vitesse. Il suffit juste de la regarder.

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